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Xavier Desandre Navarre, sorcier du rythme, sort un nouveau disque

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CULTUREBOX Xavier Desandre Navarre, batteur de jazz natif d’Aix-en-Provence, sort ce mardi 26 août son premier disque en tant que leader, « In-Pulse » (chez Jazz Village). Surnommé « le sorcier » par ses pairs, ce rythmicien très charismatique, fort d’une carrière déjà bien remplie depuis son arrivée à Paris en 1987, nous présente ce projet imprégné de ses influences puisées entre jazz, Asie et Brésil.

Annie Yanbékian

Journaliste, responsable de la rubrique Jazz-Musiques du Monde de Culturebox

Son parcours personnel et musical l’a placé au croisement de plusieurs cultures. Né le 11 octobre 1961, Xavier Desandre Navarre aimait tout petit « taper sur les tables, les chaises et remuer les pieds ». À 8 ou 9 ans, il a découvert les percussions en Iran, où sa famille a séjourné un an pour raisons professionnelles, et où un ami de la famille lui a offert un zarb.

De retour à Aix, il s’est frotté à l’enseignement académique du conservatoire qui ne l’a pas trop emballé. Il s’est initié alors aux percussions brésiliennes dans une association qui a reçu bientôt le renfort d’un étudiant brésilien, Sylvio de Santana Jr. Ce maître-tambour du Candomblé a transmis son savoir-faire au futur batteur. L’année suivante, l’élève Desandre Navarre devenait professeur. Puis il s’est s’initié à la batterie et au jazz, avant de lancer un collectif de musique improvisée et de se faire un nom dans sa région.

En 1987, invité à rejoindre le groupe de Laurent Cugny, qui partait en tournée avec l’illustre compositeur et arrangeur Gil Evans, Xavier Desandre Navarre s’est installé à Paris. Son éclectisme lui a permis de multiplier les collaborations : Tania Maria, l’Orchestre national de jazz, Manu Dibango, Youn Sun Nah…

Une quarantaine de disques plus tard, en co-leader et en sideman, Xavier Desandre Navarre sort enfin un album dans lequel il est le seul maître d’œuvre, « In-Pulse ». Le titre fait allusion à la fois à la pulsation et à un célèbre label de jazz, Impulse. L’album comporte treize morceaux courts, captés en une ou deux prises, une « règle de fraîcheur » indispensable pour le batteur. Les couleurs, les ambiances et les rythmes sont imprégnés de souvenirs, de voyages et d’influences musicales.

Culturebox : Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour enregistrer ce premier album en leader ?

– Xavier Desandre Navarre : Parce que je ne ressentais pas le besoin de le faire. Il y a deux ou trois ans, ce besoin m’est apparu comme une espèce d’évidence quand j’ai eu une carte blanche au Jazz House de Copenhague, un club mythique qui venait de rouvrir. On m’a proposé d’y jouer mon propre répertoire pendant une semaine. J’ai saisi cette opportunité en me disant : « Oui, c’est le temps d’y aller ! » J’avais déjà des compositions prêtes, ainsi que des ébauches pour des musiques de documentaires, de films, ou simplement des trucs que je bossais chez moi parce que ça m’intéressait de me frotter à la composition, en me disant : « Ouais, un jour… »

Le corpus qui allait constituer le futur disque était donc presque prêt.

– J’avais presque tout. J’ai peut-être écrit deux ou trois morceaux, réarrangé l’ensemble, peaufiné des choses, modifié des développements… J’ai travaillé dessus pendant un an. Puis j’ai eu une résidence à l’Opéra de Lyon en 2012. J’ai vérifié alors si tous ces changements fonctionnaient et si ce répertoire tenait bien la route. À l’issue de cette résidence, j’avais juste deux ou trois petites modifications à faire.

Était-ce un choix délibéré d’écrire des morceaux courts, comme autant de miniatures représentatives de votre parcours et vos influences ?

– Oui, vraiment. Je n’avais pas envie de développements trop longs. Je voulais que les solistes développent une ou deux idées, mais pas vingt-cinq ! Je souhaitais un propos concis pour le disque. Par contre, en concert, les morceaux durent presque deux fois plus longtemps ! Je voulais que ce soit des chansons, sans en être vraiment, puisque les morceaux n’en ont pas réellement le format. Des espèces de chansons jazz instrumentales.

Dans l’album, on entend souvent des instrumentations ou des thèmes plutôt jazz, sur des percussions ou rythmes plus exotiques. J’imagine que c’est aussi un parti pris.

– Complètement. C’est le côté « sorcier » percussionniste qui revient ! Ce qui m’intéresse, c’est de puiser dans les expériences musicales que j’ai pu avoir et de les ramener à cette forme de musique, au jazz. Je pense que justement, en tant qu’Européen, je peux avoir moins de complexe à faire ce genre de chose que quelqu’un qui serait de la tradition du pays.

Les musiciens du groupe ont-ils contribué à entretenir ce dosage entre jazz et influences world music ?

– Le pianiste Émil Spanyi, qui possède un savoir encyclopédique, utilise des harmonies directement inspirées de la musique romantique française et européenne. C’est quelque chose qui me touche beaucoup. Je n’avais pas envie d’un pianiste qui soit uniquement rythmique. Je voulais qu’on sente que le piano vienne d’Europe, d’une certaine façon, afin d’éviter de partir dans un concept world, même si ce dernier n’est pas loin du fait de la présence des percussions.

 Revenons à ce surnom de « Sorcier »… D’où vient-il ?

– Il y a eu plusieurs termes dont j’ai été affublé… « Sorcier », c’est une allusion au fait d’aller puiser, dans mes expériences rythmiques, des éléments qui vont bien coller à la musique. En général, quand quelqu’un me demande de jouer des percussions sur un disque ou pour un concert, il a très peu d’idées sur ce qu’il veut précisément. Tout mon boulot consiste à comprendre ce qu’il a derrière la tête, où il veut aller musicalement, de façon à apporter les ingrédients qui iront dans ce sens. En général, ces ingrédients, c’est des instruments ou des façons de jouer certains instruments, auxquels le musicien n’avait pas pensé. On m’a aussi appelé le « magicien blanc », et au Brésil, « Zica » !

Quand vous composez, est-ce que vous partez d’une image, d’une phrase rythmique, d’une mélodie ? À moins qu’il n’y ait pas de règle.

– Il n’y a vraiment pas de règle. Je me suis rendu compte du fait que souvent, je pensais à moi en dernier ! Il me vient plus facilement une suite d’accords, avec une mélodie et un mood que je remets en forme ensuite en travaillant sur la ligne de basse, puis sur le côté rythmique. Parfois, sur certains morceaux, il y a des partis pris à l’avance. Le premier, « Bolinas », est à 11 temps, une formule qui m’amusait. Le morceau brésilien, « Promesse », est une espèce de samba à trois temps.

Le disque comporte un morceau, « Gil », dédié à Gil Evans. Pouvez-vous nous parler de lui en quelques mots ?

– C’était un Monsieur très humble, très discret, extrêmement à l’écoute, attentif. Il souhaitait avant tout être assimilé à l’ensemble de l’orchestre : si un organisateur lui disait «Vous allez dans l’hôtel cinq étoiles et l’orchestre va dans le trois étoiles», il répondait «Non, moi je vais dans le trois étoiles avec tous les musiciens». Un vrai partage, une vraie connivence. Dans le bus, en tournée, il écrivait de nouveaux arrangements qu’il nous proposait le soir-même, et qu’on jouait. C’était une très grande aventure.

Quels sont vos batteurs, percussionnistes, préférés ?

– Il y en a eu plusieurs. Ça va des percussionnistes brésiliens comme Naná Vasconselos ou Airto Moreira à Peter Erskine, Steve Gadd, que j’aime beaucoup. J’adore le batteur brésilien Tutty Moreno, le mari de la chanteuse Joyce, d’une subtilité, brasilianité, merveilleuse. 

Comment s’annoncent la rentrée et vos projets futurs ?

– Pour l’instant, je n’ai pas déjà en tête un prochain album, mais ça va venir, c’est sûr ! Avec le groupe In-Pulse, qui est acoustique, on a deux dates en septembre. J’espère aussi enregistrer cette année l’un de mes autres projets, United Nations of Groove, qui est plus électrique. Enfin, j’ai un projet solo de percussions que je vais jouer en novembre à Paris.

(Propos recueillis par A.Y. le 21 août 2014)

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